On vous avait prévenu il y a quelques temps du retour de Fortius, non plus pour relater les merveilleux exploits de nos amis moustachus destinés à figurer dans le Limca Book of Records, mais pour nous extasier devant cette capacité phénoménale qu’ont les sus-mentionnés amis moustachus pour tomber dans la schizophrénie, notamment juridico-économique.Prenons un exemple : environ 92% de l’économie relève du secteur informel, et ce chiffre atteint même 97% pour la distribution. Ici, pas de supermarchés, encore moins d’hyper ; pour les courses, on va chez le kirana, l’équivalent de nos petits épiciers ouverts tout le temps, à ceci près que la version locale propose trois fois plus de produits sur une surface trois fois moins grande.

Entrent en scène Reliance, Birla et autres Godrej, grands groupes familiaux indiens qui proposent, ô comble de la modernité, ce qu’on appelle dans le jargon local des supermarchés, bref des produits emballés sur une surface de quelques centaines de mètres carrés. Certes, ça ne casse pas trois pattes à un Bombay duck, mais on pense à tous les bénéfices derrière : création de centrales d’achat, amélioration de la logistique, apparition d’une chaîne du froid, diminution des pertes en ligne, accroissement de la formation des vendeurs… Bref, que du bon pour tout le monde !

Oui, mais non… Car une certaine Chief Minister de l’Uttar Pradesh (d’ailleurs présentée hier dans un très mauvais papier du Monde) a eu la bonne idée (populisme, quand tu nous tiens !) d’encourager un nivellement par le bas, en interdisant le commerce organisé dans son Etat, suite à des manifestations de propriétaires de kirana pas contents.

Du coup, le gouvernement central en a remis une couche aujourd’hui, et a proposé de lever une taxe spéciale sur le commerce organisé, qui servirait à subventioner des prêts pour les petites échoppes. Pas besoin d’avoir fait l’IIM-A pour voir qu’on perd ainsi sur les deux tableaux :

  • les distributeurs organisés, qui s’étaient engagés à verser de meilleurs prix aux agriculteurs en raison des volumes négociés, vont devoir leur resserrer la ceinture pour conserver leurs marges (un maigre 4%, même si c’est certes 2 fois plus qu’en Europe, mais il y a tout à construire ici), puisqu’ils se sont engagés pour la plupart à être 15 à 20% moins chers que les kirana, et vont revoir leurs ambitions à la baisse, empêchant ainsi l’émergence tant attendue d’une industrie logistique qui permettrait de contribuer au développement des infrastructures ;
  • les kirana de leurs côtés vont venir gonfler les portefeuilles de crédit non-performants des banques, qui n’ont pas besoin de cela en ce moment, tout en limitant le développement de la micro-finance, pourtant prévue pour répondre précisément aux besoins du secteur inorganisé…

Bref, encore un secteur pavé de bonnes intentions, et illustrant à merveille le slogan “Incredible India”. On tient cependant à préciser une fois encore qu’il ne s’agit là aucunement de railler les voies de développement choisies par le pays : c’est juste que, vu de l’extérieur, il est toujours aussi difficile de comprendre la logique de celles-ci…

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